Les Oligarques : c’est sous ce titre qu’en pleine occupation nazie, l’historien Jules Isaac décrit l’Athènes de Périclès lors de la guerre du Péloponnèse. Il y souligne la trahison des oligarques au profit des envahisseurs spartiates. A cela, une seule cause : la haine du parti des privilégiés contre la démocratie. Isaac renvoie ainsi au « Plutôt Hitler que Blum ! » en vogue dans la droite française depuis le Front populaire. Ce qui a débouché sur la dictature vichyste à la botte de l’Occupant.
Ce que subissent aujourd’hui les peuples d’Europe, c’est une guerre économique sans merci que leur mènent les privilégiés. Ainsi, afin d’imposer à la schlague le honteux accord concocté par le MEDEF et ratifié par les syndicats salariaux minoritaires (malgré des manipulations statistiques éhontées), Laurence Parisot ose menacer le Parlement. Et en quels termes ! « Il est tout à fait essentiel que le Sénat et L’Assemblée nationale respectent à la lettre ce texte [sinon] nous mettrions ça suffisamment en cause pour que les investisseurs étrangers changent d’avis sur la France ». La vraie patrie de ces nouveaux oligarques, c’est la finance internationale. Aux injonctions de laquelle défèrent un gouvernement et un parlement élus sur des promesses exactement inverses. Exit le Code du travail...
Durant les Trente glorieuses, le modèle fordien était fondé sur la progression simultanée des gains de productivité et des rémunérations salariales. Henry Ford a montré comment gagner deux fois : en exploitant ses ouvriers, tout en les rémunérant assez pour leur permettre d’acheter eux-aussi les voitures qu’ils fabriquaient. Quand ce modèle s’est grippé, le capitalisme mondial a réorienté la course au profit : de l’économie réelle, vers la spéculation financière. Et la finance internationale a fait sauter tous les contre pouvoirs étatiques.
En 1971, les Etats-Unis ont unilatéralement mis fin au système né en 1944 à Bretton Woods, fondé sur la primauté du dollar convertible en or. Et le passage, en 1973, aux taux de change flottants marque le début de la dérégulation financière généralisée. On en connaît les caractéristiques.
1. -Contrairement à Bretton Woods qui réunit 730 représentants de 44 états, dont l’économiste John Maynard Keynes pour le Royaume Uni et Pierre Mendes France pour la France, « la déréglementation financière a été décidée sans débat démocratique » (Michel Cabannes, économiste bordelais, La trajectoire néolibérale : histoire d’une déréglementation sans fin, 2013).
2. - L’école monétariste des Chicago boys de Milton Friedman a donné le la. Ses émules Richard Nixon et Henry Kissinger ont permis l’éclosion des dictatures militaires (Pinochet, Videla…) pour favoriser cette politique. Et son disciple Allan Greenspan, président de la réserve fédérale, Banque centrale des Etats-Unis, de 1987 à 2006 a favorisé une politique d’inflation monétaire sans précédent pour permettre toutes les spéculations.
3. -Désormais les flux financiers représentent 50 fois ( !) l’économie réelle et les places financières ont cessé d’être les lieux de financement des entreprises. Dans les paradis fiscaux, abris de la fraude fiscale, première industrie mondiale, transitent 50% des flux financiers mondiaux. Les crises bancaires qui avaient disparu après 1929 ont redémarré sur les bulles financières (internet en 2000, subprimes en 2008), sur les marchés de matières premières et par la montée des prix alimentaires.
Résultat ?
« Ce n’est pas de concurrence pure et parfaite dont rêvent les financiers, ce sont de micro-monopoles sans cesse réinventés –grâce auxquels ils développent leur dispendieux train de vie » (Henri Bourguinat, économiste bordelais, 2010). Ce qui a été accordé à « la finance c’est un permis de dévaster », résume l’économiste américain John Kenneth Galbraith. Et c’est là que se fracasse le logiciel social-libéral. Continuer de réclamer une répartition des fruits de la croissance, qui n’est plus le souci de la finance internationale, est vain. Permettre aux banques (comme Fabius en 1984 ou Clinton en 1999) le décloisonnement des activités de dépôt, d’investissement et d’assurance favorise la dérégulation financière. Oublier que c’est par la relance de la consommation du New deal de Roosevelt (inspiré par Keynes) que le monde est sorti de la crise est stupide.
L’affaire Cahuzac n’est donc pas le scandale issu d’un mensonge isolé. C’est la rencontre inévitable de la dérégulation financière, d’une doxa partagée par les ultralibéraux et les sociaux-libéraux saisis d’un zèle de néophytes et d’un entre-soi d’oligarques qui profitent de ce système. La publication du patrimoine des élus ne fait que surenchérir sur la démagogie poujadiste des ennemis de la République. C’est un « dire vrai qui ruine la Cité », aurait dit Michel Foucault. Pour sauver la République, dont le principe selon Montesquieu est la vertu, il ne faut pas la mettre à l’encan, ni au pilori : il faut la refonder.
Gérard Boulanger
Président du groupe régional aquitaine écologie et Front de Gauche