dimanche 11 novembre 2012

Joseph Dauphin, ivre de peur, et fusillé parce qu’il était un humain d’abord !

404698_2868700310362_1477280331_n.jpgDans les brumes du matin, au bout d’un pré sans fossé, sans haie… un pré de rien, loin de tout. Abandonné  des Hommes et dépourvu  de la plus petite dotation réglementaire  de raison, un peloton d’exécution s’aligne  dans l’aurore vespérale du 12 juin 1917.

Le caporal Joseph Dauphin est un  solide Auvergnat de 35 ans, il porte fièrement la croix de guerre, pour avoir sauvé son lieutenant sanguinolent des morsures des barbelés de la tranchée ennemie. Dans la mitraille et la canarde, il tient le joseph, ça canarde, ça bombarde, ça arrose…. Et le joseph ramène son lieutenant…. La boucherie l’exaspère, mais le sang ne lui procure aucune aversion particulière…. Parfois il se souvient  des canards à qui l’on coupe la tête et qui continuent de courir….

Quand il se retrouve quelques mois plus tard, embourbé dans le carnage du chemin des dames, les palmipèdes décapités se sont mutés en homme, c’est du cou de ses frères que sa glougloute rouge…. Et cette odeur de sang qui se déverse dans la boue, crée un remugle glutineux et lourd… la bouillie qui se déverse à ses pieds transporte l’immondice et l’effrayante quintessence  de l’humanité….

… Je voudrais être un canard….

Les survivants rentrent au campement, demain la riflette reprendra imbécile et bornée, on décapsulera de nouveau les  flacons de mort… et ça ruissèlera de nouveau d’hémoglobine… le raisiné acre sera encore la pataugeoire des vivants…

En attendant, les permissions sont supprimées et les vivants s’oublient…. Dans les campements l’alcool coule à flot, l’armée n’est pas avare de cette gnole qui chasse la peur et endort le raisonnement… double et triple ration pour tout le monde !

Les soldats qui entourent Joseph ce soir-là sont pintés comme un général polonais, et lui-même se tient une cuite comme pas deux… alors ils braillent, ils crient, ils chantent même une vielle chanson auvergnate qui s’appelle  «  j’ai deux grands bœufs dans mon étable »…

Ils tirent des coups de fusil en l’air, reboivent des coups et rechantent.

« J'ai deux grands bœufs dans mon étable, Deux grands bœufs blancs marqués de roux ; La charrue est en bois d'érable, L’aiguillon, en branche de houx [...] S'il me fallait les vendre, J’aimerais mieux me pendre, J’aime Jeanne, ma femme : Eh ! bien j'aimerais mieux La voir mourir que de voir mourir mes bœufs... »torrent-de-sang.jpg

La hiérarchie militaire entend des propos séditieux ! Le caporal Dauphin, est  considéré comme le meneur d’une vague de mutinerie.il est  condamné à mort et fusillé ce matin du  12 juin à la ferme de Fété, près de Ventelay dans l’Aisne.

François Brugière, son camarade de Tauves, vraisemblablement impliqué dans la même séance de beuverie est désigné pour faire partie du peloton d’exécution, il n’y a pas de petites humiliations chez ces gens-là. Il refusera de tourner son fusil contre Joseph. Condamné à 10 ans de travaux forcés, il fut envoyé au bagne de Chief (ex-Orléanville) où il mourut d'épuisement le 12 février 1918 d’épuisement et de chagrin….

En me rendant au monument au mort de ma ville, dans moins d’une heure, c’est à Joseph que je rendrai hommage, à Joseph et aux 650 fusillés pour l’exemple, que jamais la République ne réhabilita... Peut -être que le Président Hollande accomplira le geste que l’on attend…. Peut-être pas…

Ceux qui sont morts de vivre, accusés de désertion, de sédition, de mutinerie et de refus d’obéissance étaient des humains d’abord !